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Sixième carte postale : le Québec plus loin dans les parcs

Updated: Nov 16


Changement d’auberge. Direction le lac à l’eau claire, à une heure de l’entrée du Parc national de la Mauricie, le plus beau coin du Québec, selon moi.

            Il fait gris et froid. Départ. Premier arrêt à Saint-Zénon, l’église en bois blanc est soulignée de portes rouge et blanche. Rosaces. Clocheton. Sur le côté du bâtiment, un panneau « danger. Chute de glaces ». Je repense aux lames accrochées aux toits en hiver, au son chuintant qu’elles émettent en lâchant l’accrochage pour tomber droites dans la neige molle.

Direction l’énigmatique village de Ste-Emilie-de-l’Energie, 1700 habitants. L’Écho, le journal de la commune, me surprend en parlant du service de cueillette et de transport. C’est le nom qu’on donne au service de ramassage des ordures. La cueillette. J’aime bien. Le 12 octobre, j’aurais pu participer à un atelier de confection d'épouvantails pour décorer le village. Trop tard, dommage. Devant un bâtiment à tourelles crénelées, un panneau jaune annonce le passage de motoneiges. Entre deux maisons, une colonie de pintades libres, piquetant le sol dans un tapis de feuilles jaunes.

De détours en ruelles, voici un magasin au nom intrigant : « Tante Agastache ». J’imagine aussitôt une femme se balançant sur un fauteuil à bascule, tricotant pour l’hiver. En réalité, il s’agit d’une plante de la famille des alchémilles, aux fleurs pourpres ou bleues, qu’une jeune femme a remise au goût du jour pour ses vertus médicinales.

Pots de crème, dentifrice en poudre, les savons, joli design. L’odeur est tout de même un peu étrange, entre le cannabis et l’herbe verte. Je finis par acheter le dentifrice pour ma fille et une crème pour mes mains, en fronçant un peu le nez. Elle s’avèrera efficace pour les genoux endoloris par de trop longues marches. Les deux femmes ont l’accent parisien, elles vivent dans une grande maison blanche juste à côté de la cabane dédiée à la Tante Agastache. Elles m’offrent un petit savon, s’étonnent que je choisisse le noir. Plus amusant, pas vrai ? 

Plus loin, au long de la route qui traverse le village de part en part, un improbable magasin de produits péruviens. La dame réussit l’impossible : mixer accent québécois et sud-américain. Elle me conseille des restaurants, avant d’ajouter que presque tout est fermé.

Je file vers Saint-Gabriel-de-Brandon, au bord du lac Maskinongé, à trente minutes de là. Peu importe l’heure vespérale, mademoiselle Dubois me sert un demi-club sandwich et un Perrier. Tout est propre et plutôt bon. Les hommes portent de grosses vestes à carreaux rouge et noir, il fait chaud, ils parlent vite, je dois me concentrer pour attraper deux, trois mots au vol.

Dernière étape avant d’arriver à l’Auberge. La route serpente au long de flaques petites ou grandes, lac Caché, lac Blanc, lac Bélanger. Je me prends à espérer que les jeunes Québécois ne doivent pas apprendre le nom de chaque étendue d’eau, chaque rivière. Un exercice sans fin.


Arrivée. Le temps s’est éclairci, le ciel s’étend bleu et blanc au-dessus de la bâtisse qui a dû être moderne il y a longtemps. Des oies Bernaches du Canada se baladent dans l’herbe, lâchant des crottes étrangement bleutées. Un ponton mène à l’eau frissonnante. Tous les lieux se tenant au bord des étangs et des forêts exhalent le même parfum de feuilles mouillées, d’herbe et de terre humide.

Des canoës attendent les courageux. Les arbres qui ceinturent le lac achèvent de cramer leurs couleurs dans le soir qui tombe.  Peu à peu, l’heure bleue et le silence. Les fenêtres s’allument, il fait froid.

J’hérite d’une chambre à la taille presque risible, près de 60 mètres carrés. On pourrait y faire tenir un étage de ma maison. Moderne, neuf, balcon avec vue. J’hésite à m’asseoir sur les canapés, les deux lits immenses, devant la table de verre, ou dans les fauteuils éparpillés un peu partout. Je vais mal dormir, entourée de tant de vide.


Au matin, le lac a disparu sous la brume. Le ponton s’élance dans le vide, la rive d’en face s’est évanouie. L’eau est à peine dérangée par le son d’un canoë. Plus une oie dans les jardins. À la réception, un tiroir entrouvert laisse apercevoir d’antiques dossiers physiques. Derrière le meuble, à travers les vitres à baguettes brunes, des buissons, de l’herbe se meuvent dans les défauts du verre. Petit déjeuner buffet, dernière minute avant la fermeture, le personnel se sert, s’excuse de passer devant moi. Le thé est médiocre.

Dehors. La route s’insinue dans les bois. Je nourris l’espoir de ciels dégagés.

 

À demain.

 

« Un chapeau sur la tête et un sac sur le dos,

Mon bâton, le vent frais, la lune dans le ciel. »

Jack Kerouac

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