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Quatrième carte postale : le Québec du fond des parcs




Je tourne le dos à l’auberge, hydravion, chemin secret, mais pas aux feuilles.

Direction le sentier des cimes, une passerelle en bois dans les Laurentides, située au-dessus des frondaisons, qui culmine en une tour de bois de plusieurs mètres de haut. À mesure qu’on progresse, la vue est incroyable dans le ciel bleu poinçonné de nuages ronds, surmontant une marée d’arbres léchée par l’automne. Du rouge, du vert, des arbres secs, orange, jaune éclatant. Au loin, une église blanche jaillit entre les feuillages.

Au sommet, un cordage serré permet de sautiller au-dessus du vide sous la tour. Je ne m’y risque pas. Le vertige m’accompagne de la chaise aux falaises. Il fait doux, il faudrait attendre une bonne semaine pour un spectacle plus puissant, plus colorés, à moins que le froid, la pluie ne s’y mette et que la forêt tourne à la boue. Le retour est rapide. J’achète des popcorns au sirop d’érable. Gros, saléw, sucréw avec ce petit goût de caramel qui pousse à terminer le paquet. Dans le parc des bancs taillés dans des troncs enjolivés de ratons laveurs ou d’ours sculptés attendent les visiteurs fatigués.


Lac supérieur après quelques minutes de route. Des monts ronds et empourprés se reflètent dans l’eau pâle. Je ne sais trop pourquoi, ils me rappellent la rivière Li en Chine, près de Guilin, mêmes reflets, autre monde. Je pousse jusqu’au lac Monroe, dans le parc national du Mont-Tremblant. Même organisation qu’aux USA, une cahute au milieu de la route, des rangers en tenue. Je paie un petit montant, annonce mon but et poursuis vers le lac. Il est là, froid, très clair sur un fond en terre rouge, bourré de truites de toutes tailles et de branchages submergés.

Le soleil se cache. Silence. Impossible de marcher autour du lac, seules quelques trouées permettent d’atteindre le bord pour faire du canoë. Je poursuis vers des chutes sur la rivière du Diable. Petite balade dans les bois humides, champignons, écureuils. Les bestioles émettent un bruit de crécelle pour me faire fuir, grimpent sur un tronc au-dessus de moi en trillant de plus belle. Des gris, des noirs, bien occupés à rentrer les provisions avant l’hiver.

Les chutes sont jolies, mais à peu près plates en comparaison avec le mini-pays. Une passerelle est installée sur l’eau pour les observer de près. Un photographe et sa femme multiplient les réglages complexes de leur appareil, trépied de pro. Je poursuis vers le lac-des-dix-milles, oui, ce pays ne manque pas d’eau. Le ciel s’est assombri, nuages à la course, cumulus noirs, eau froissée, fonds cuivrés.

Ensuite, ça se complique. Les routes deviennent rapidement mauvaises, peu importe, bonne voiture, pas trop basse, 4x4. Le GPS cesse d’émettre, je me reporte sur cette vieille chose qu’est la carte physique. Un réseau de chemins carrossables permet d’atteindre plus vite le but de la journée, l’auberge du Lac-Taureau. Allons-y.

A l’usage, chaque chemin se heurte à une barrière fermée. De choix en sous-choix, cahotant à vingt à l’heure entre de gros trous, du gravier glissant, de la poussière, juste avant de bifurquer sur Saint-Donat-De-Moncalm, la sortie convoitée, route barrée. Pas d’espoir, il faut revenir. Deux heures de secousses dans l’autre sens. Je note de désormais m’informer à l’entrée du parc sur l’état des routes.

Et bim, bam et hop, et zoum et tac, dedans, dehors, louvoyant entre les fondrières, arrêtée chaque cinquante mètres, par un panneau « arrêt » qu’il ne faut pas griller, je finis par m'en sortir en ayant pris un retard considérable. Il faut maintenant contourner le parc pendant deux heures et demie pour atteindre Saint-Michel-des-Saints, puis l’auberge.

Je stoppe devant un dépanneur (épicerie) qui semble surgir des années cinquante, néon crépitant, publicités anciennes. On y vend du bois, des articles de pêche, bière, café, vin. Un caddy affiche : « rapportez vos sacs de bois vides ». On y songera. Deux types discutent assis de chaque côté de la porte, un café à la main. Je ne comprends presque pas un mot.

À l’intérieur, des provisions pour campeurs, des boîtes de conserve, de la mousse à raser, des fruits secs. Pour moi, un Mars et ça repart. Dans ma vie normale je ne mange pas de barres chocolatées, mais en Amérique du Nord, c’est souvent l’en-cas le moins malsain proposé.

Faire La route à l’envers, obliquer à gauche. Saint-Côme, Sainte-Émilie-de-l’Energie, Saint-Zénon, Saint-Michel-des-Saints.

Le ciel retrouve ses couleurs, le crépuscule adoucit le lac, dorant une ride après l’autre. Petit balcon, bouleaux, et le parfum de l’eau.

Je lâche la voiture avec joie.


A demain.


« Tous ceux qui errent ne sont pas perdus. »

J. R. R. Tolkien

 

Illustrations CanvaAI. Pour changer un peu. Pas convaincue.

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1 Comment


Merci de nous prendre ainsi en voyage avec toi !!!!

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